Pour l’apôtre Paul que nous venons d’entendre, la bouche et le cœur sont deux éléments essentiels pour affirmer et croire le message de la foi que nous proclamons. La bouche pour affirmer que Jésus est Seigneur, le cœur pour croire que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts. Pourtant la bouche et le cœur de l’homme sont souvent très éloignés de la Parole et du cœur de Dieu. Ainsi, le prophète Esaïe prête ces paroles à Dieu : « Ce peuple ne s’approche de moi qu’en paroles, ses lèvres seules me rendent gloire, mais son cœur est loin de moi. « Un peu plus tard, Jésus alertera ses disciples avec cette parole qui peut toujours nous faire réfléchir : « Ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. »
C’est pourquoi, dans son encyclique d’octobre dernier sur l’amour de Jésus « nous a aimés », le pape François nous propose de « redécouvrir l’importance du cœur « ; Et, avant d’aborder l’amour humain et divin du cœur de Jésus-Christ, le pape se réfère au grand penseur Newman pour qui « le lieu de la rencontre avec le Seigneur […] c’est le dialogue cœur à cœur avec le Christ vivant. «
Alors, en ce début de Carême, un sujet de dialogue que nous pouvons aborder avec Jésus, c’est notre manière de répondre aux tentations qui envahissent notre quotidien, sournoisement parfois, discrètement le plus souvent. L’occasion nous en est donnée par le récit des trois tentations vécues par Jésus avant que sa mission publique n’ait commencé.
Jésus a une trentaine d’années. Il vient d’être baptisé par Jean-Baptiste. Annoncé par son Père comme le Fils bien-aimé, et rempli d’Esprit Saint, il est conduit à travers le désert. Et là, pendant quarante jours, avant d’avoir prononcé sa première parole publique, il est témoin et acteur du combat entre deux discours opposés : les paroles mensongères du diable qui se fait tentateur et les paroles de l’alliance que Dieu a conclue avec son peuple. Malgré la violence des attaques, Jésus entre dans le combat. Un combat qui, en fait, s’est ensuite poursuivi tout au long de sa vie publique et jusqu’au temps de sa passion à Gethsémani. Un combat
permanent contre le mal, la souffrance et le péché… jusqu’à la victoire finale de la vie sur la mort. La victoire d’une résurrection à laquelle nous sommes tous appelés et que nous célébrerons à Pâques. Mais une victoire qui n’a pas supprimé les épreuves ni la nécessité du combat.
Au dire de l’évangéliste, les trois attaques que Jésus a subies résument toutes les formes de tentations qui existent. Le démon essaie de le pervertir dans toutes ses relations : dans sa relation à lui-même, dans sa relation aux autres, dans sa relation à Dieu.
D’abord dans sa relation à lui-même en essayant de le persuader que l’homme peut subvenir seul à ses propres besoins : « Ordonne à cette pierre de devenir du pain ». Pour nous, aujourd’hui, c’est la tentation de s’enfermer sur soi, d’ignorer ceux qui ne pensent pas ou ne vivent pas comme nous. C’est la tentation de préserver notre confort en restant sourd et aveugle à la souffrance et à la misère du monde. C’est la tentation de limiter notre réseau d’amis au strict minimum vital.
Ensuite, le démon essaie de pervertir Jésus dans sa relation aux autres, en s’efforçant de le convaincre que l’homme peut détenir un pouvoir absolu sur les royaumes du monde. « Je te donnerai tous ces pouvoirs ». C’est malheureusement la réalité dans nombre de dictatures qui recourent à l’argent, à la violence ou à la guerre pour imposer leur régime. C’est aussi l’action des influenceurs suivis par de nombreux followers sur les réseaux sociaux. A notre niveau, nous pouvons aussi être tentés d’exercer une certaine forme de pouvoir avec notre argent, notre culture, notre statut social ou familial. Nous pouvons exercer un pouvoir discret
sur les autres par la médisance ou la manipulation. Ou, plus subtilement, par la séduction ou
le chantage affectif.
Enfin, le diable essaie de pervertir Jésus dans sa relation à Dieu. Il cherche à lui faire croire que l’homme est son propre Dieu : « Si tu es fils de Dieu, jette-toi en bas ». Pour le convaincre, il utilise même des extraits du psaume 90 que nous venons d’entendre. Dans notre vie de tous les jours, nous sommes souvent tentés de nous comporter comme des êtres totalement indépendants, maîtres de notre vie. Nous oublions plus ou moins volontairement que notre existence et nos activités dépendent de Dieu. Qu’elles prennent leur source et trouvent leur achèvement en Dieu seul. D’une certaine manière, nous prenons pour nous la place de Dieu.
A ces trois tentations, Jésus ne succombe pas. Pour résister aux paroles mensongères du diable, il s’appuie sur les Paroles de Dieu recueillies dans le Deutéronome. A chaque proposition, il répond par une citation de cette parole. C’est en elle qu’il puise ses forces pour sa lutte contre le démon. Dans le corps à corps qui l’oppose à l’adversaire, il affiche le cœur à cœur qui le lie à son Père et à l’Esprit Saint. Dans cette montée vers Pâques, comment le récit de ce combat nous permettra-t-il d’entrer nous-mêmes en lutte contre le mal en nous, autour de nous et dans le monde qui nous environne ? Parlons-en à Jésus au cours de cette eucharistie qui nous met en communion avec lui et avec nos frères et sœurs
Hubert Ploquin,diacre
Du livre du Deutéronome (26, 4-10)
Psaume 90 (91)
De la lettre de l’apôtre Paul aux Romains 10, 8-13
Evangile de Jésus Christ selon Saint Luc 14, 1-13
1 Es 29, 13
2 DN – § 2
3 DN – § 26